Expés Hoang



Après 12 heures d'avion, 6 heures de sommeil à Lima puis 400 km et 10 heures de bus nous arrivons enfin à Huaraz, petite ville de la moitié nord du Pérou, base de départ pour la Cordillère Blanche et la Cordillère Huayash. Nous avons une seule journée avant le départ pour le trek de Santa Cruz. Elle sera mise à profit pour régler les derniers détails de la randonnée et du sommet. Nous réservons deux porteurs à la Casa de Guias (Bureau des Guides) qui nous rejoindront quatre jours plus tard au pied du Pisco avec notre matériel. Du moins nous l'espérons...
Le taxi qui nous emmène vers le départ du trek est heureux. Sept jeunes européens viennent de lui payer 8 fois le prix normal de sa course. Bonne journée qui commence. A Cashapampa nous avons quitté la vallée moderne. Nous sommes au départ du trek, au bout d'une longue route sableuse à flanc de montagne qui nous a donné nos premières sensations : le permis de conduire péruvien s'obtient au bout d'une seule journée de cours ... Nous étions 10 dans le combi japonais, taxi appelé collectivo, qui nous a montés. Dix plus un sac de grains de 25 kg et un cochon noir, et moins un morceau de la porte latérale que nous avons perdu en route. Ce n'est qu'un début, nous ferons beaucoup mieux au cours du séjour.



Nous profitons de nos deux jours de repos pour récupérer, changer d'hôtel et préparer
l'ascension du Huascaran, le deuxième sommet d'Amérique Latine. Au
cours de la montée au Pisco, nous avons rencontré des porteurs et
leur avons parlé de nos projets. Le service client en Cordillère Blanche
est excellent et ce sont six porteurs qui se présentent à nous le
lendemain matin de notre retour. Après d'âpres discussions (les premières...)
nous nous mettons d'accord avec deux d'entre eux pour les six jours
du Huscaran. Le 16 juillet un des deux porteurs que nous avions engagés
pour la voie normale du Huascaran nous apprend que trois personnes
viennent d'y trouver la mort à cause de chutes de séracs, que la voie
reste dangereuse, qu'il ne veut donc pas y aller et que le second
porteur est du même avis. Nous sommes dimanche, il est impossible
de vérifier ces informations. Nous nous rangeons cependant à son avis
et nous nous décidons rapidement pour la voie normale du Chopicalqui.
Le sommet est moins haut, mais la voie probablement plus belle.




Chopicalqui, 6354m, validé.
Nous repartons
le 22 juillet vers notre principal objectif, la fameuse montagne qui
fait de nos rêves les plus beaux que nous n'ayons jamais eus : l'Alpamayo.
Pour s'en approcher, il faut commencer par refaire une partie du trek.
Nous sommes beaucoup plus chargés que la dernière fois car nous avons
tout le matériel technique de montagne : deux piolets chacun, cordes
en plus grand nombre, broches à glace, pieux à neige et dégaines.
Les porteurs du Chopicalqui sont revenus nous voir : nous ne devons
pas être de si mauvais clients que ça. Nous engageons donc deux porteurs
et un muletier avec deux mules. Les porteurs ne porteront nos affaires
qu'au-dessus du camp de base, là où les mules font demi-tour pour
redescendre. Le premier jour nous reprenons un collectivo jusqu'à
Cashapampa, puis nous remontons la même vallée encaissée que deux
semaines auparavant. Nous dormons un peu plus loin que Llamacoral
pour éviter de se retrouver avec 50 autres touristes. La tentative
de pâtes au dîner est toujours aussi lamentable du point de vue culinaire.


Nous entamons les rappels de descente dans notre voie
de montée. Au milieu de la descente, il se met à neiger. L'ice-flute
que nous descendons devient un véritable torrent de neige. Nous arrivons
enfin à la rimaye. La trace qui mène au camp a complètement disparu
sous la neige, il nous reste à peine plus d'une demi-heure de jour.
Il neige toujours, le brouillard se déchire parfois mais ne nous permet
pas de repérer nos tentes. Il s'agit d'abord de retrouver l'unique
pont de neige qui permet de traverser une grande crevasse qui barre
tout le glacier en contrebas. La première cordée part devant pour
installer un rappel, trouve le pont de neige. La deuxième cordée part
cinq minutes plus tard, mais elle ne voit déjà plus la première et
la trace a disparu sous la neige. Elle fonce droit vers la crevasse,
à gauche du pont de neige et fait demi-tour alors que le premier de
cordée s'enfonce brusquement jusqu'à mi-cuisse... Dans ces conditions,
au lieu de vouloir gagner quelques minutes, il fallait évidemment
rester groupés. Nous essayons ensuite de suivre l'ancienne trace en
sondant sous la neige fraîche avec un bâton télescopique. Nous restons
bien concentrés, la moindre erreur d'itinéraire et nous risquons d'errer
toute la nuit sur ce glacier, à 5000m. Au bout d'une heure de descente,
le brouillard se déchire et dévoile notre camp à une centaine de mètres.
Jamais nous n'avons été aussi heureux de voir nos tentes !
Nous les atteignons à la tombée de la nuit, vers 19 heures. Les étoiles
entrevues 17 heures plus tôt n'ont pas menti, c'était bien la journée
la plus intense de notre séjour au Pérou. Le lendemain vers 6 heures,
nous jetons un coup d'oeil dehors : il fait un temps splendide, le
soleil se lève sur l'Alpamayo! Nous sommes tous vite dehors pour le
spectacle tant attendu car repoussé à chaque fois : la contemplation
de la face sud-ouest de l'Alpamayo, celle que l'on a gravie la veille,
celle qui lui vaut le titre de "plus belle montagne du monde". Les
quelques moments de bonheur intense dans le froid piquant du petit
matin, hypnotisés par cette montagne qui est là, oui enfin là,
on ne rêve plus, juste en face de nous, sont à la hauteur de toutes
nos espérances et resteront longtemps gravés dans nos mémoires. Nous
décidons de lever le camp, il est trop tard pour faire le Quitaraju
initialement prévu aujourd'hui et nous n'avons pas le courage d'attendre
jusqu'à demain. Nous redescendons du col en deux rappels, dépassons
le camp moraine et nous continuons jusqu'au camp de base où nous nous
installons confortablement dans la cabane de muletier. Le 27 juillet,
nous descendons jusqu'à la route à Cashapampa. Comme la veille, les
sacs sont assez lourds (dans les 25 kilos) puisque nous n'avons plus
aucun porteur. Les sept heures de descente sont plutôt éprouvantes
mais nous sommes assez motivés par l'idée de dormir dans un lit et
de manger autre chose que des pâtes pas cuites ou des lyophilisés.
Le soir même nous sommes de nouveau à Huaraz, nous nous régalons dans
un restaurant où nous avons désormais nos habitudes, soupe à l'oeuf,
poulet, frites, Cristal (la bière locale) puis détour par le vendeur
de gâteaux et nous nous endormons bien vite, des images - bien réelles
maintenant - plein la tête, le coeur gonflé par le sentiment d'avoir
vécu quelque chose de fort.

Ce sont alors
nos adieux à Huaraz. Comme nous n'avons pas fait le Huascaran mais
le Chopicalqui, plus court, nous disposons de deux jours pour faire
du tourisme. Balades, marchés couvert et non couvert, sites Pré-Incas,
sources d'eau chaude, cinéma local : 8 FRF pour un Mission Impossible
II version piratée sur Internet, en VO inaudible sous-titrée espagnol,
mais vu la complexité du film, les images même mauvaises suffisent...
Adieux à l'hôtel Espana, sa douche plutôt froide et Nelly, patronne
grand-mère, chaleureuse parfois jusqu'à l'envahissement ! Adieux à
la Cordillère Blanche. Retour Lima en bus de nuit. Encore une grosse
nuit !.



Le lendemain matin, on ne traîne évidemment pas trop
dans les duvets. Tout en faisant sécher nos affaires, nous observons
nos hôtes qui vivent ici en presque complète autarcie avec quelques
poules, lapins, des caféiers et bananiers et trois petits chiots.
Nous descendons dans la vallée et nous suivons le torrent jusqu'à
l'usine hydroélectrique du Machu Picchu. Nous y prenons le train local
(sa vitesse moyenne en comptant les arrêts oscille entre 5 et 10 km/h)
jusqu'à Aguas Calientes, étonnant village complètement dédié au tourisme
qui a poussé comme un champignon tout autour des rails et des sources
thermales. Le matin du 7 août, il pleut et au lieu de marcher une
heure sous la pluie battante, nous rejoignons la foule des touristes
pour prendre un bus luxueux qui nous emmène jusqu'au site du Machu
Picchu. Il nous apparaît d'abord complètement fantomatique dans des
nappes de brouillard qui s'entrelacent. Les constructions sont étonnamment
bien conservées, les gros blocs qui les constituent ont des formes
harmonieuses et s'emboîtent parfaitement. Les nuages se déchirent
peu à peu tandis qu'on prend de la hauteur en direction du chemin
de l'Inca. Un groupe de français en voyage organisé accepte sympathiquement
de partager son guide avec nous et nous découvrons l'histoire du site,
les différents temples, l'organisation étonnante et rigoureuse d'une
cité religieuse inca. Nous grimpons jusqu'au Huayna Picchu observer
le site d'en haut. Au retour, nous empruntons la toute dernière portion
du chemin dallé des incas afin de redescendre sur Aguas Calientes.
Un gamin habillé en petit inca avec des tongs faites à partir de gomme
de pneus nous double en courant ; il coupe les lacets de la route
pour rattraper un bus de touristes qui descend aussi et leur crier
à chaque virage : " Good bye ! ".Moyen de se faire un peu d'argent
de poche. Il s'arrête quand même dix secondes devant Aurélie pour
lui demander sa nationalité et le nom du président français. Quelque
peu troublée, elle répond Mitterrand...
Le lendemain, par le train et un collectivo, nous
rentrons à Cusco où nous flânons toute la journée. Nous prenons un
avion pour Lima le matin du 9 août et nous quittons le Pérou le soir-même.
Dans l'avion, les belles montagnes de la Cordillère Blanche, les balades
dans la jungle, les sites Incas, la musique péruvienne, les bons petits
plats typiques nous manquent déjà...